Oui, la révolution continue, et comment ne le serait-elle pas, alors que nombre de ceux qui ont comploté pour détruire l’Egypte, diviser son peuple, porter atteinte à son unité, et mettre à genoux ses institutions nationales, continuent d’être aux aguets, attendant une légère inattention ou de grandes divergences de notre part, ou encore que nos forces faiblissent pour nous attaquer impitoyablement.
La révolution continue puisque nous ne sommes pas encore sortis du tunnel, puisque nous n’avons pas encore terminé notre guerre contre le terrorisme, et puisque nous n’avons pas encore achevé la mission de construire notre Etat démocratique, civile et moderne. Et n’avons pas encore posé les fondements et les bases de la renaissance que mérite notre peuple.
Car nous continuons à lutter pour nous relever de nos faux pas, tandis qu’ils continuent à nous poursuivre à chaque fois que nous essayons d’aller de l’avant, par la critique acerbe, les propos blessants et la trahison infamante.
Ils continuent d’essayer de nous convaincre que nous avons tort et que les tombes qu’ils creusaient pour ce peuple, cette nation et ce pays sûr étaient ce qu’il y avait de mieux.
Le 30 juin de chaque année où s'enchaînent les souvenirs, mes filles, mes petits-enfants, mes collègues et mes amis me demandent de leur raconter certains des secrets de ces jours glorieux.
Ce qui est arrivé pendant les premiers jours de la révolution et ce qui n’a pas encore été raconté.
Et en vérité, les souvenirs se mêlent dans ma tête et je ne sais trop par où commencer.
Je suis parfois réservé sur des événements qu’il n’est pas encore temps de raconter, et relate parfois des souvenirs éparpillés ici et là.
Mais j’hésite beaucoup pour commencer : est-il correct de commencer par la diffusion par la télévision égyptienne des événements de la conférence de la Haute Commission électorale présidentielle de 2012, et l’annonce de la victoire de Mohamed Morsi Al-Ayyat à la présidence de la République ?
J’étais alors en route pour l’hôtel JW Marriott situé dans le quartier du Tagammou al-Khamis, au Caire, où on devait annoncer lors d’une conférence de presse préparée à cet effet la victoire du général Ahmad Chafiq à ce poste ?
Est-il correct de commencer l’histoire à ce moment-là, ou bien dois-je la commencer au moment où j’ai obtenu des documents d’un service de sécurité, le 26 janvier 2011, affirmant que Morsi espionnait avec les Américains par le biais de son compagnon de route, devenu par la suite son directeur de bureau, Ahmad Abdel Aati, et que le service avait enregistré ces discussions téléphoniques qui avaient duré plus de cinq heures entre Morsi Al-Ayyat et l’officier de renseignements américain qui s’occupait de la Turquie où résidait Ahmad Abdel Aati ?
Ou bien dois-je commencer le 12-12-2012 lorsque j’ai déposé une plainte auprès du procureur général nommé par Morsi après qu’il eut destitué le procureur général Abdel Maguid Mahmoud, dans laquelle j’accusais le président de la République d’être un espion ?
C’est alors qu’entra chez moi l’avocat général de la Cour d’Appel du Caire, chargé par le procureur général d’enquêter sur la plainte pour m’annoncer une mauvaise nouvelle, mais avant qu’il ait eu le temps de me dire qu’une surprise m’attendait, je lui ai dit soudainement : Vous voulez dire certainement que les trois services de sécurité que vous avez contactés pour interroger sur la réalité de ces documents en ma possession et qui indiquent des contacts entre Morsi Al-Ayyat et les renseignements d’un Etat étranger le 22 janvier 2011 vous ont informé par fax maintenant que ces documents n’étaient pas authentiques et qu’ils n’en avaient aucune trace ?
L’homme fut alors stupéfié, car comment pouvais-je savoir, alors que je suis à la fois l’accusateur et le plaignant, quelque chose qui venait d’arriver et qui n’était connu que du procureur général et de l’avocat général chargé de l’enquête, mais je lui ai dit textuellement : « Rappelez-vous, Monsieur le conseiller, que c’est notre pays, que les gouvernants viennent et partent, et que nous restons, nous, les véritables propriétaires de cette terre, et que nous vaincrons finalement, malgré ces documents que vous avez en main, et les services eux-mêmes renverront les vrais documents en temps voulu »… Quant à la question de savoir comment je connaissais le contenu des faxs que l’avocat général avait en main alors, c’est une histoire qui mérite que l’on commence par elle un jour nos véritables récits, qui n’ont pas encore été racontés, sur le 30 Juin.
Je n’ai pas été désappointé car je savais et sais toujours que les gouvernements ont leurs exigences et que les peuples ont leurs choix, car le politique a ses choix qui diffèrent naturellement de ceux du fonctionnaire quelle que soit sa position.
Je pense que le véritable début devrait être là où je me suis tenu sur la place Tahrir le 17 mai 2013 et avec moi un groupe de véritables révolutionnaires pour jurer devant 60.000 citoyens égyptiens que nous allions renvoyer Morsi et ses camarades en prison. A ce moment, un haut responsable de la sécurité m’a appelé pour m’informer que Morsi l’avait convoqué pour lui demander de me mettre derrière les barreaux pendant 25 ans, mais dans le but de satisfaire Dieu, c’est-à-dire sans qu’il ne soit question de politique, seulement une affaire pénale qui finirait par une accusation de « meurtre ou trafic de drogues ».
L’homme m’a informé qu’il avait prétexté auprès du président l’approche du rendez-vous du 30 juin et lui avait demandé de reporter l’opération après ce rendez-vous, nous avons évoqué cela par la suite dans son bureau et avons beaucoup ri.
Ces débuts sont-ils valables ? Ou bien faut-il que je commence par la promesse que m’a faite un responsable haut placé dans son bureau après la victoire du 30 juin, lorsqu’il m’a dit mot pour mot : « Il viendra un jour où nous érigerons pour vous des statues dans la cour de ce bâtiment, car vous avez fait quelque chose qui relève du miracle, et je me souviens lui avoir dit alors : Nous n’avons pas besoin de vos statues, car nous avons rassuré les Egyptiens, et cela est plus que suffisant.
Tous ces débuts peuvent-ils servir d’introduction à la discussion sur la révolution de ce grand peuple le 30 juin ou faut-il commencer par la préparation de ce grand événement ?
Je donnais avant cet événement une conférence à l’Ecole des Renseignements militaires sur le Groupe des Frères, et pour dire la vérité, lorsque j’ai reçu l’invitation, je l’ai trouvée quelque peu étrange, et j’ai alors interrogé mon interlocuteur : « Savez-vous bien qui je suis ? Et m’invitez-vous effectivement pour donner une conférence sur les Frères au sein de l’Ecole des Renseignements militaires ? Et connaissez-vous bien mon avis sur eux ? Et l’homme se mit à rire, en affirmant qu’il savait tout, et que c’était pour cela qu’il m’avait invité, alors j’y suis allé et j’eus une surprise que je pourrai peut-être raconter à l’occasion d’une longue discussion sur la commémoration de cette grande révolution.
Mais c’était une surprise qui ne fit que renforcer ma foi et ma résolution de voir réussir à tout prix la Révolution du 30 Juin, qui n’était à ce moment-là encore qu’un rêve !
Je ne sais pas pourquoi j’ai le sentiment profond que le véritable début devrait être au moment où je me suis réuni avec un petit nombre de personnes dont je ne mentionnerai pas les noms, pour ne fâcher personne, de façon à réfléchir à ce que nous ferions le 30 juin. C’est alors que certains m’ont dit : nous voulons savoir si certains appareils d’Etat vont être avec ou contre nous ?
J’allais alors leur poser la question le soir, et la réponse fut déconcertante, car mon interlocuteur a dessiné sur une feuille blanche quelque chose semblable à un arbre, un cercle et un bâton, et m’a dit : si vous pouvez dessiner cet arbre pendant trois jours consécutifs, je vous garantis qu’au moins, nous ne serons pas contre vous, et lorsque je lui ai demandé des explications, eut lieu la surprise qui pourrait également être le début d’une longue histoire que je raconterai certainement un jour sur ce grand jour : lorsque nous nous sommes assis sur la place Tahrir et le pont Qasr Al-Nil et avons fait de nos corps non seulement un arbre, mais des rivières dans les rues qui ont coulé jusqu’au Palais d'El-Ittihadiya en passant par la place Ramsès et Al-Abbassiya. Ce jour-là, quelqu’un d’important m’a dit : maintenant, je peux vous dire « Bravo » en étant rassuré. C’est pourquoi lorsque certains ont attaqué mon bureau avec des armes automatiques, le vendredi suivant le 30 juin à midi, j’ai été étonné d’entendre des voix que j’avais déjà entendues à diverses occasions, pour me demander de pardonner à ceux-là. Ces propos m'ont effrayé et je ne m’y attendais pas, mais j’ai pardonné, car les hommes sont ainsi : ils ne peuvent faire que deux choses : pardonner ou cacher.
Mais c’est une histoire qu’il se pourrait que je ne raconte jamais, car c’est une tache noire que j’essaie d’oublier pour qu’elle ne salisse pas le vêtement blanc.
De longs souvenirs fabriqués par de véritables héros, dont certains sont morts, d’autres attendent, et n’ont point changé, mais il se peut que nous ayons un jour le temps et le courage de les raconter à nos enfants, nos petits-enfants et aussi à vous.
Mais aujourd’hui, je me contente de dire aux Egyptiens… à tous les Egyptiens : Que chaque année vous trouve en paix.. et la Révolution continue, alors tenez bon et persévérez.